L’argentique

Avant de rêver La Línea, je l’ai beaucoup photographiée. Je suis fasciné par le graphisme de ces exocets qui, en saison, se retrouvent partout dans le quartier de la Atunara.

 

Zone très populaire, de pêche et de trafic, déglinguée, solidaire, gouailleuse, équivoque, c’est le parfait terrain de jeu du reporter en herbe et une source intarissable d’anecdotes policières.

En été, dès 11 heures, le soleil cogne et la lumière devient très, très dure. Pas facile de capter des détails dans l’ombre du parasol sans exploser complètement les tons clairs. Finalement, j’ai choisi sur cette photo de réduire le contraste, ce qui fait que, en tout cas sur l’écran mal calibré de mon pc, elle me semble aujourd’hui un peu grise.

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Précision : c’est de l’argentique, de la pellicule noir et blanc (à l’époque encore, la regrettée Neopan 400 de Fuji). Je travaille avec un vieux Rolleiflex de plus de 60 ans et une petite cellule photométrique capricieuse.

 

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Paquet cadeau          © Fr. Filleul

En déambulant dans le quartier, on tombe sur de drôles de paquets. Bien malin qui dirait ce qu’a pu contenir cette fourgonnette enrubannée…

J’ai pris – je prends – énormément de plaisir à photographier en Andalousie. Dompter la lumière, chercher les détails dans les blancs, capturer un bout du réel qui, sinon, aurait été agencé différemment. Au sens littéral, la photo permet de mettre un cadre à la vie. A mi-chemin entre documentaire et invention, on capte, sans douleur, sans nécessité de se projeter soi-même. Bien caché derrière l’appareil. À lui de se charger de la médiation.

Poissons volants nait en partie de cette recherche photographique. En quelque sorte, le roman nait ici :

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Casa sonrisa      © Fr. Filleul

Cette maison qui semble guigner de l’œil et se foutre gentiment de votre gueule, c’est un peu le noyau de sens d’où tout se déploie.

 

Monothème 2 : l’argent

Qu’on préfère le pognon, le fric, le flouze, la thune, la maille ou les boulettes, on peut le retourner comme on veut : hormis Rick Castle ou Michel Houellebecq, l’écrivain n’est pas riche. Ou s’il est, il y a de fortes chances qu’il ne le doive pas à sa plume.

Jour J – 7 pour la cérémonie officielle d’inauguration de la Foire, – 14 pour les librairies.

Cet intéressant podcast du Petit Salon sur France Culture le déclare sans ambages : l’écrivain est pauvre. Le constat n’a rien de révolutionnaire, tout le monde le sait ou pourrait le savoir mais à une semaine de la sortie de MON roman, j’avoue percevoir la chose avec une autre intensité. La dimension matérielle, ici proprement économique, de l’industrie culturelle, je ne souviens pas qu’on m’en ait jamais parlé dans mes cours de philologie. C’est pourtant loin d’être inintéressant, à en juger par l’ahurissement de pas mal d’amis, connaissances ou étudiants, avec lesquels j’ai abordé le sujet ces derniers mois.

Valentine Goby, quand elle était à la tête du Conseil permanent des écrivains, en France, n’a pas arrêté de rappeler les conditions matérielles difficiles de la création littéraire. Il est habituel que l’auteur touche 10 % du prix de vente HTVA du livre, moins s’il s’agit de littérature jeunesse (6 à 8 %). Pour la version électronique du livre, pour des raisons obscures qui m’échappent encore, c’est encore pire. Et à ce stade, on ne parle pas de piratage, bien sûr, ou de photocopillage.

Chère lectrice, cher lecteur, un petit calcul pour le fun : de quels revenus annuels nets auriez-vous besoin pour vivre dignement ? Ecrivez ce montant sur un bout de papier. Prenons maintenant comme référence le prix dans le commerce de mon roman : 18 euros. La TVA sur le livre étant en Belgique de 6 %, le prix HTVA s’élève à 16,66 euros. Et donc le montant de mes droits d’auteur à 1,66 euros (j’hésite à mettre le -s-). Divisez maintenant le montant dont vous auriez besoin pour vivre pendant un an, vous obtiendrez le nombre d’exemplaires du livre que vous devriez écouler pour y arriver. Il vous faut un best-seller ! Et en publier tous les ans…

Ecrire n’est donc généralement pas un métier. Cela pose plein de questions sur les conditions de production, non ? La bonne nouvelle, c’est qu’il reste la rente (quand nous nous connaitrons mieux, vous pourrez me faire vos propositions), ou le dilettantisme (nettement plus mon genre, à vrai dire).

Heureusement, on n’écrit pas pour devenir riche. Mais quand même…

Monothème

Putain !

Voilà, comme ça, gratuitement. Comme le bucheron dans la clairière hésite un instant sur l’arbre à entamer puis se crache un bon coup dans les mains pour se donner du courage.

Jour J – 11 pour la Foire. – 18 pour la sortie en librairie.

On y est presque. L’air de rien, c’est du boulot de se faire remettre un prix.

4 septembre. Il y a la journée de formation. La coach veut qu’on sorte un pitch accrocheur. Je parviens péniblement à produire quelques lignes qui tiennent la route mais travestissent un peu le roman. L’avocat nous sert de guide dans les méandres de la législation sur les droits d’auteur. 19 septembre. Rencontre avec l’éditeur, avec tout ce qu’elle représente, cette scène vue, rêvée, lue, vécue par procuration des dizaines de fois.

Septembre – octobre : le manuscrit. Relire, corriger, douter, relire, corriger, pas trop, sinon on risque de décevoir ceux qui ont aimé le livre et lui ont accordé le prix. Le doute s’installe. Alterne avec des moments d’euphorie mais finit toujours par revenir.

Septembre – octobre – novembre : contrat d’édition, lire, se documenter, négocier, relire, renégocier, re-relire et enfin signer.

Il y a aussi la couv’ et la C4 (la quatrième de couverture, pas le formulaire de licenciement) : texte bio, synopsis et photo.

Vacances de Toussaint : l’horreur. Juste une nuit en amoureux et paf ! Je découvre un problème de chronologie passé inaperçu lors de mes quarante-deux relectures précédentes. Je passe une partie de la nuit à me ronger les ongles, et le reste du congé à jongler avec les chapitres.

Début décembre : c’est bon. Après 264 mails échangés avec Xavier, mon éditeur, le bon-à-tirer est parti, le bouquin part à l’imprimerie. M’inscrire dans une société d’auteurs (pour moi, la Scam).

Mais le pire était à venir : les réseaux sociaux. Jouer le jeu ou pas ? Ou plutôt suivre quelles règles ? Timidement, je crée un profil Facebook. J’ai vite douze amis, puis treize (que ces visionnaires sont remerciés, que dis-je ?, bénis à tout jamais).

Le 11 novembre, dans une ville de Mons concentrée sur les festivités du centenaire de l’armistice et livrée aux contingents militaires du monde entier, je suis très gentiment invité à participer à un festival du polar. Je viens y parler d’un livre qui n’existe physiquement pas encore et pour lequel je n’ai que le projet de couverture à montrer. Pas peu fier, cependant, je reçois un badge « auteur » et échange avec quelques écrivains d’envergure, dont Ian Manook et Víctor del Árbol.

Beaucoup plus récemment s’est posée la question de la communication de la sortie du livre. À quels contacts ? Tous, non. Seulement les plus proches, non plus. Mais alors à qui ? Et comment ? Préparation des mails, envoi, oublis, renvois, correction, changement d’heure pour la Foire du livre de Bruxelles…

Et puis là, un vendredi, en rentrant du boulot, je tombe sur Yeba dans le métro. Entre Madou et Mérode, elle me fait un interrogatoire, suivi d’un briefing qui me laissent pantois. Si j’ai une page FB ? Ouf, oui, depuis deux semaines. Twitter ? Instagram ? Linkedin ? Une page web à mon nom ? En .com ? Non, évidemment non, non et non. Hum. Je vois qu’elle se dit que je vis sur une autre planète. Mais comme elle a de la suite dans les idées et un pouvoir de conviction enviable, on se revoit quelques jours plus tard et …, ben, peut-être que quelqu’un me lit sur le net en ce moment…

Bon, je m’arrête là, c’est assez, je trouve, pour un premier billet. Tout ça pour dire combien la préparation de la sortie du livre est prenante, et excitante. Et aussi pour m’excuser auprès de ceux qui m’ont croisé ces derniers mois : comment je suis devenu monothémiste !

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