Sueño con estar lejos

A ce stade, on a l’impression que le confinement a duré toute la vie et pourrait se prolonger tout autant. Au quantième jour en sommes-nous ? Chacun lutte comme il peut pour ne pas faire un bien vilain fou.

Je me souviens qu’étant étudiant, quelqu’un m’avait amené dans une chambre aménagée quelque part dans les combles de la place Saint-Boniface, bien avant sa gentrification, chez une fille que je rencontrais en entrant chez elle, pour terminer une soirée d’errances, je ne sais plus pourquoi on était arrivés là.

On ne s’était pas plu, avec la fille qui nous recevait. Comme c’est si courant chez les gens dits de gauche (dont je suis : je ne devrais pas l’écrire par mesure de précaution et pour ne pas faciliter leur tâche le jour où, mais il est des licences que l’on prend sans comprendre), l’un était trop je ne sais quoi pour l’autre, ou trop … allié objectif de l’ennemi, enfin, je ne me souviens plus des détails. Ce dont je me souviens, c’est d’une discussion sur l’hygiène petite-bourgeoise des chiottes et en ces temps de pénurie de papier-q, je rigole doucement.

Surtout, cette fille avait un poster, ou une inscription, comme chez moi celles d’Achille Chavée. Cela disait « Sueño con estar lejos ». Et il y avait la photo du Che. Je rêve d’être loin. Comme je l’ai toujours rêvé, sans jamais cesser de m’imaginer d’autres vies. Pendant sept ou huit ans, bien plus tard, j’ai pris le train deux fois par semaine à la gare du Midi, rêvant à chaque fois de prendre un international et me retrouvant systématiquement à Mons.

L’ennui, l’impuissance, tant d’heures futiles face à l’écran m’ont poussé à replonger dans mes scans de négatifs et à donner libre cours à mon envie d’être ailleurs. Pas un journal, un songe.

L’argentique

Avant de rêver La Línea, je l’ai beaucoup photographiée. Je suis fasciné par le graphisme de ces exocets qui, en saison, se retrouvent partout dans le quartier de la Atunara.

 

Zone très populaire, de pêche et de trafic, déglinguée, solidaire, gouailleuse, équivoque, c’est le parfait terrain de jeu du reporter en herbe et une source intarissable d’anecdotes policières.

En été, dès 11 heures, le soleil cogne et la lumière devient très, très dure. Pas facile de capter des détails dans l’ombre du parasol sans exploser complètement les tons clairs. Finalement, j’ai choisi sur cette photo de réduire le contraste, ce qui fait que, en tout cas sur l’écran mal calibré de mon pc, elle me semble aujourd’hui un peu grise.

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Précision : c’est de l’argentique, de la pellicule noir et blanc (à l’époque encore, la regrettée Neopan 400 de Fuji). Je travaille avec un vieux Rolleiflex de plus de 60 ans et une petite cellule photométrique capricieuse.

 

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Paquet cadeau          © Fr. Filleul

En déambulant dans le quartier, on tombe sur de drôles de paquets. Bien malin qui dirait ce qu’a pu contenir cette fourgonnette enrubannée…

J’ai pris – je prends – énormément de plaisir à photographier en Andalousie. Dompter la lumière, chercher les détails dans les blancs, capturer un bout du réel qui, sinon, aurait été agencé différemment. Au sens littéral, la photo permet de mettre un cadre à la vie. A mi-chemin entre documentaire et invention, on capte, sans douleur, sans nécessité de se projeter soi-même. Bien caché derrière l’appareil. À lui de se charger de la médiation.

Poissons volants nait en partie de cette recherche photographique. En quelque sorte, le roman nait ici :

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Casa sonrisa      © Fr. Filleul

Cette maison qui semble guigner de l’œil et se foutre gentiment de votre gueule, c’est un peu le noyau de sens d’où tout se déploie.

 

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